Jean-Paul Le Moel-Kiss Landing.pdf

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JEAN PAUL LE MOËL
KISS LANDING
ROMAN
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Table des matières
1 Un épais brouillard…
2 Si tu vas à Rio...
3 Une colère de l’Aconcagua
4 Idylle à Dakar
5 La pas catholique Isabelle
6 Une réunion syndicale
DEUXIEME PARTIE
1 Départ pour un vol de routine
2 Le vol est reporté
3 Exit les tracas du sol
4 Un imprévu
5 Changement de destination
6 Exit Pedro
7 Cap sur Cuba
8 La cabine s’envole
9 Retournement de situation
10 Judith craque
Epilogue
1 Un épais brouillard…
Le Boeing 707, Château d’Andelys, immatriculé FBKCE, appartenant à la LAF, (Lignes Aé-
riennes Françaises), venait de se poser sur la piste de l’aérodrome de Tours. La visibilité ne dépas-
sait pas un kilomètre. L’avion n’ayant pas utilisé ses phares, ainsi qu’il est recommandé par brouil-
lard, seul le bruit des réacteurs en poussée inverse indiqua à ceux qui l’attendaient sa prise de
contact avec le sol. A l’entrée de la bretelle de sortie, le pilote alluma les phares de nez, afin de se
diriger en suivant une ligne peinte au centre de la voie de roulement. Le déplacement était lent car
la visibilité avait encore baissé. Un halo de lumières tamisées indiqua l’approche de l’aérogare.
Deux bâtons lumineux s’animèrent aux mains d’un homme chargé du placement de l’appareil. Ses
gestes étaient précis, très professionnels ; mis en croix, les bâtons indiquèrent la fin de la manœu-
vre. Un après l’autre les réacteurs s’éteignirent ; ne resta plus que le bruit de l’APU 1 , un petit réac-
teur situé dans la queue de l’appareil et destiné à fournir du courant pendant les escales. Certains
aérodromes l’interdisaient à cause du bruit qu’il générait ; ce n’était pas le cas de ce terrain de dé-
gagement de la région parisienne qui ne s’animait qu’en cas de fermeture des aéroports de la capi-
tale.
Non loin de l’avion, un homme en uniforme ôta les mains qu’il avait plaquées contre ses oreil-
les pour se protéger du bruit ; il s’agissait du chef d’escale, temporaire lui aussi. Quand les condi-
tions météorologiques se dégradaient en région parisienne, la compagnie le mettait en place à Tours
avec une équipe réduite. “La planque !” disaient ses collègues. Vrai et faux. Il pouvait rester plu-
sieurs jours sans voir un avion, mais dès que Paris fermait, la pression devenait insupportable entre
les appels téléphoniques de la hiérarchie et les récriminations des passagers qui supportaient mal
d’avoir à effectuer le reste de leur voyage par la route, tellement la publicité avait tendance à pré-
senter le transport aérien comme un train avec des ailes. La frénésie du progrès occultait le fait que
deux décennies auparavant il fallait encore cinq jours pour traverser l’Atlantique. Le Boeing 707
qui venait de se poser à Tours venait précisément de New York. “Je vais affronter les fauves”, dit le
chef d’escale en se dirigeant vers la passerelle mobile, sorte d’escabeau géant qu’on venait de posi-
tionner.
On allait encore traiter d’incapable un pilote ‘infoutu’ de se poser par brouillard en 1970, avec
tous les radars et moyens électroniques modernes dont il disposait ; on se jurerait de ne plus jamais
monter dans un avion de la LAF. Certains voudraient téléphoner de toute urgence à leurs corres-
pondants à Paris et ce serait une nouvelle occasion de vitupérer la nullité du téléphone en France (ce
en quoi, dans ce domaine, on ne pouvait leur donner tort !)
– Bonsoir, commandant, dit le chef d’escale en pénétrant dans le cockpit, l’atterrissage, ça al-
lait ?
– Limite, répondit le captain, Raoul Duroc, ancien de l’Aéropostale et spécialiste des lignes sur
l’Indochine avant la guerre à bord du trimoteur Dewoitine 338. Je ne sais pas si vos patrons vous
l’ont dit, mais, mon cher ami, avant la guerre on se posait zéro zéro 2 au Bourget, alors, qu’on ne
nous parle pas de progrès. (Le ‘cher ami’ aurait pu lui répondre qu’on ne traversait pas l’Atlantique
en avion avant la guerre 3 , mais il préféra ne pas entamer une polémique.) Qu’est-ce qu’ils ont prévu
pour nous ?
– Au choix, l’hôtel à Tours ou bien rentrer avec les passagers par la route.
– Et l’avion ?
– Il repart à Rio après escale à Las Palmas où le courrier régulier est tombé en panne ;
l’équipage est déjà là, il est venu par la route lui aussi.
1 Auxiliary Power Unit. (Groupe auxiliaire de puissance )
2 Visibilité et plafond nuls… quelques dizaines de mètres tout de même.
3 Uniquement en hydravion.
– J’ai deux ou trois petits trucs à dire au pilote qui prend la suite, rien qui n’empêche le ‘zing 4
de s’envoler mais il vaut mieux qu’il sache.
– Rien de grave au moins ? s’inquiéta aussitôt le chef d’escale qui se voyait mal avec un avion
sur le dos, alors qu’on en annonçait deux autres aux premières heures de la matinée.
– Si je vous dis que ça va, c’est que ça va, c’est notre boulot et pas le vôtre. J’ai encore eu une
prise de bec avec un collègue à vous qu’on appelle ‘dispatcher’ là bas ; ces messieurs ont la préten-
tion de nous apprendre notre métier.
– Cela n’a jamais été mon cas, croyez-le bien, monsieur Duroc.
– Comment il s’appelle, mon collègue ?
– Quéinnec, Paul Quéinnec.
– Je parle du patron, pas du copilote.
– C’est lui le commandant de bord.
– Quéinnec, commandant de bord… ! Je n’ai pas vu le temps passer.
– Tous ces jeunes vont nous pousser dehors, s’exclama le mécanicien, un ancien, lui aussi.
– On ne peut pas toujours être et avoir été, osa dire le copilote à qui il tardait de passer à la
place gauche.
– Je vous souhaite d’avoir la même passion que nous, reprit le mécano, mais ça n’en prend pas
le chemin.
– Allez, on laisse la place, dit Duroc, en reculant son siège.
Au bas de la passerelle, l’équipage suivant attendait que Duroc ait quitté l’avion. Quéinnec fit
les présentations ; Duroc serra les mains.
– Vous avez été vite, mon cher Quéinnec, dit-il en désignant les quatre galons qui ornaient les
manches de l’uniforme.
– Pas aussi vite que je ne l’aurais souhaité. Il n’y avait pas de copilote de votre temps, aussi
vous ne pouvez pas savoir…
– Mais si, je sais. (A sa sortie de l’école, Paul avait été un moment le copilote attitré de Duroc.
Il se souvenait de sa gentillesse et de sa simplicité pour un homme qui avait côtoyé les grands an-
ciens entrés dans la légende, tels que Mermoz, Reine, Guillaumet, Saint Exupéry. A l’encontre de
nombre de ses collègues anciens, il laissait volontiers le manche à son copilote et lui faisait part
volontiers de son expérience. Pour Paul, Duroc était un grand monsieur, un des rares parmi les pilo-
tes d’avant guerre à avoir réussi sa qualification sur avion à réaction.) Toujours aussi sportif à ce
que je vois. mon cher Quéinnec
– Compliment pour compliment, je voudrais bien être comme vous…
– A mon âge ! Jusqu’à cette année, cela allait encore, mais les vols de nuit commencent à me
fatiguer. C’était si mauvais que cela à Orly ?
– Nous devions convoyer un avion sur Las Palmas. Il n’y avait même pas les minima pour dé-
coller ; nous sommes venus par la route.
– Par moments j’ai l’impression qu’à la météo ils ouvrent le parapluie, je racontais au chef
d’escale qu’avant guerre on se posait zéro zéro au Bourget.
– Je l’ai fait aussi à la Postale de nuit. Ce ne serait pas possible avec un 707.
Duroc n’avait pas l’air persuadé. Il se passa la main dans les cheveux qu’il avait drus.
– De toute façon, ça va bientôt être fini tout ça : je prends ma retraite à la fin de l’année.
– Déjà ! ne put s’empêcher de s’exclamer Paul qui n’imaginait pas qu’un tel homme puisse
s’arrêter de voler un jour.
– Bientôt 59 piges mon cher.
– La retraite c’est 60.
– 30 ans d’aviation, 30 000 heures de vol… je peux me retirer, vous ne pensez pas ? Je préfère
le faire volontairement pour ne pas avoir l’impression qu’on me met à la porte. Pas un seul mort sur
la conscience, pas un avion vraiment cassé.
4 Un des nombreux mots d’argot des premiers temps de l’aéronautique pour désigner un avion.
– Belle carrière.
– Je crois qu’on peut le dire, sans fausse modestie … je vous souhaite la même… Je vous
laisse. (Il serra la main de son jeune collègue ; Paul crut y sentir une certaine nostalgie qui se vérifia
par la phrase qui suivit :) Je vous envie d’avoir tant d’années devant vous, mais comme l’a dit mon
copilote: on ne peut pas être et avoir été.
Deux années plus tard, Quéinnec sera peiné d’apprendre que Duroc s’était noyé au cours d’une
partie de pêche en mer au large de Biarritz. C’est ce qu’il avait désiré : au cours d’un vol il lui avait
confié son désir de ne pas mourir dans un lit.
Le chef d’escale attendait à l’écart que la conversation entre les deux commandants prenne fin.
Dès que Duroc s’éloigna, il s’approcha de Paul :
– Quand vous voulez, commandant, le plus tôt sera le mieux.
– On y va, on y va, à condition encore qu’on puisse décoller car la visi n’a pas l’air terrible.
C’est bien ce que pensait le responsable de l’escale, tout en se disant que s’il n’y avait pas dé-
collage il n’y aurait pas non plus d’atterrissage.
Au pied de la passerelle, Quéinnec rejoignit Lucien Reboul, le mécanicien navigant de
l’équipage, un ancien lui aussi, un peu bourru, qu’il ne fallait pas prendre à rebrousse-poil.
– Tout va bien, chef ?
– J’suis pas chef, j’ai jamais voulu l’être.
Quéinnec lui mit la main sur l’épaule :
– Façon de parler, chef.
Reboul se racla la gorge :
– Une bricole sur le 4, les pleins se terminent.
– 40 tonnes ?
– Un peu plus.
Les vieux mécanos avaient l’habitude d’en mettre toujours un peu plus qu’ils baptisaient
‘goutte du mécano’ ; tant que cela n’influait pas sur les performances au décollage, Quéinnec lais-
sait passer. L’avion était à vide, on était loin des limitations.
– Combien ?
– Combien quoi ?
– Combien en plus ?
Reboul fut tenté de répondre : “qu’est-ce que cela peut te foutre !” mais se retint.
– Dix. (en fait c’était vingt)
– Toujours ça de moins à embarquer à Las Palmas.
Pas tout à fait vrai, car pour transporter dix tonnes de carburant supplémentaires, il faudrait en
consommer quelques-unes unes. Il existait des tables qui le disaient exactement en fonction de la
distance et de la masse au décollage de l’appareil. Ce problème était souvent sujet de discussion
entre les mécanos et les pilotes car même certains jeunes mécanos avaient adopté le principe de la
‘goutte’.
Il laissa Reboul monter devant lui. Quand il pénétra dans le cockpit, son copilote Louis Grenier,
casque aux oreilles, faisait les essais radio. Il lui frappa sur l’épaule ; l’autre se retourna.
– Tu me donneras le résultat.
– Quel résultat ? demanda Grenier en déplaçant légèrement un écouteur.
– Du match au parc des Princes.
– Tu sais très bien que…
– Mais oui, je sais, répliqua Quéinnec en prenant place.
Grenier haussa les épaules, repositionna le casque pour terminer les essais. Une fois de plus il
s’était laissé prendre aux plaisanteries de son ami Quéinnec avec qui il faisait équipage depuis deux
ans.
Les trois hommes étaient maintenant assis à leurs places respectives. En place avant gauche :
Paul Quéinnec, commandant de bord ; à droite, Louis Grenier second pilote ; entre les deux : Lucien
Reboul, sur un siège pivotant qui lui permettait de faire face aux instruments moteurs du panneau
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