Moïse et Pharaon ou Le passage de la mer rouge
Opéra en quatre actes de Luigi Balocchi et Étienne de Jouy
musica di Gioacchino Rossini
Prima Assoluta il 26.3.1827 Théâtre de l'Académie Royale de Musique, Paris
PERSONNAGESMoïse, BassePharaon, BasseAménophis, TénorÉliézer, TénorOsiride, BasseAufide, TénorSinaïde, SopranoAnaï, SopranoMarie, Mezzo-sopranoUne voix mistérieuse, BasseHébreuxÉgyptiensLa scene est dans le camp des Madianites près de Memphis, et à Memphis.
ACTE PREMIER
Le théâtre représente le camp des Madianites sous lesmurs de Memphis. On distingue la tente de Moïse, au-devant de laquelle s'élève un autel de gazon; un boisde palmiers sur la gauche, et sur la lisière de ce boisquelques buissons dont l'un se fait
remarquer par saforme et son épaisseur.SCÈNE PREMIÈREHébreux et Madianites des deux sexes.CHOEURDieu puissant, du joug de l'impieDélivre aujourd'hui tes enfants,Et permets que dans leur patrieLes Hébreux rentrent triomphants!LES VIEILLARDSDe notre espoir quel est le gage?Un monarque sans foi,Adorateur des dieux qu'il fit à son image,Le perfide ennemi de notre sainte loi!LES FEMMESEn proie aux plus vives alarmes,Est-il temps d'essuyer nos larmes?Hélas! reverrons-nousNos fils, nos pères, nos époux?SCÈNE DEUXIÈMELes mêmes, Moïse.MOÏSERetenez ces plaintes parjures,L'Éternel a parlé, Moïse est avec vous;Madianites, vos murmuresOnt offensé le Dieu jaloux.CHOEURPardonne à l'infortuneUne plainte importune,Moïse; songe aux maux que nous avons soufferts.Pleins d'amour et de confiance,Nos coeurs, livrés à l'espérance,Craignent encor les pièges des pervers.MOÏSESur leurs crimes secrets mes yeux seront ouverts.J'attends le retour de mon frère;Envoyé près de Pharaon,Éliézer parle en mon nom:Il demande à ce roi que l'Égypte révèreD'apaiser le ciel irrité,Et de rendre à la libertéLes Hébreux exilés sur la terre étrangère.CHOEUR DES FEMMESDieu paternel, reverrons nousNos fils, nos pères, nos époux?SCÈNE TROISIÈMELes mêmes, Éliézer, Anaï; Marie.MARIE, ANAÏ et ÉLIÉZERGloire au Seigneur! gloire à Moïse!MOÏSEÔ bonheur! ô surprise!Est-ce vous, Anaï?... ma sueur!MARIE et ANAÏLe ciel finit notre misère,Nous avons retrouvé notre appui, notre père!MOÏSEDe ce nouveau bienfait rendons grâce au Seigneur.Éliézer, c'est à toi de m'apprendreCe que de Pharaon nous avons droit d'attendre.ÉLIÉZERJ'ai vu la superbe MemphisOù depuis quinze annéesNos tribus enchaînéesInvoquaient les vengeurs qui leur furent promis;Au pied du trône admis,J'ai rappelé la mémoireDu prophète Jacob et de Joseph son fils,Qui tous les deux couverts de gloireFurent honorés dans Memphis:Pharaon, ai-je dit, quand le Juge suprêmePar la voix de Moïse affranchit les Hébreux,Sur toi, sur ton peuple, anathèmeSi ton coeur repousse nos voeux!En vain l'idolâtre Osiride,L'indigne grand-prêtre d'Isis,Fait parler ses dieux ennemis,Et contre les Hébreux proscritsSouffle dans tous les coeurs une haine homicide;L'Éternel en notre faveurA suscité la reine Sinaïde,Elle se déclare pour nous;Du Dieu qu'elle a trahi secondant le courroux,Elle menace, elle intimide,Et jette l'épouvante au coeur de son époux.Pharaon des Hébreux promet la délivrance.Marie, esclave dans Memphis,Des faux dieux bravant la puissance,Était vouée à leur vengeance;Sinaïde a prié: tous ses maux sont finis:De Pharaon le coeur s'entr'ouvre à la clémence;Pour gage du serment qui le lie en ce jour,Il rend Marie à notre amour.MOÏSEMarie a su souffrir pour le Dieu qu'elle adore.MARIEMa fille a plus fait encore;Du trône de MemphisLa superbe espérance,Le jeune Aménophis,De ses charmes épris,N'avait pu sans l'aimer jouir de sa présence;Anaï, tendre avec candeur,Ne distingua pas dans son coeurL'amour de la reconnaissance;Elle aima; mais ce sentiment,Que ma tendresse éclaire,Ne balança pas un moment,Dans cette âme pure et sincère,Son ardeur pour son Dieu, son amour pour sa mère.MOÏSEPeuple, réjouis-toi!Anaï de Moïse a rempli l'espérance,Du Dieu vivant Marie a confessé la foi;Peuple, réjouis-toi!(L'arc-en-ciel paraît).Voyez-vous dans les airs briller cet arc immense?Ô fortuné présage! avec nous l'ÉternelEn ce jour solennelA confirmé son alliance.(Un météore lumineux tombe sur un boissonqu'il embrase sans le consumer).LE CHOEUR Quel prodige nouveau!VOIX MISTÉRIEUSEMoïse, approche-toi.Je remplis ma promesse,Dans une sainte ivresseViens recevoir ma loi.Hébreux, préparez-vous à des fureurs nouvelles,Allez vers Pharaon,Marchez, soyez fidèles,Vous combattrez pour moi, vous vaincrez en mon nom.(Moïse va prendre les Tables de la loi sur le buissonéteint, qui s'est couvert de fleurs; il les apporte et lesprésente aux Hébreux, qui se prosternent).MOÏSE et LE CHOEURDieu de la paix, Dieu de la guerre,Maître des peuples et des rois,Le front prosterné vers la terreNous jurons d'observer tes lois!MOÏSEForts de la divine assistance,A tout nos coeurs sont préparés;Témoignons au Seigneur notre reconnaissance;Que nos fils premier-nés, aux autels consacrés,Soient le gage et le prix de notre délivrance!CHOEUR(pendant la consécration des premier-nés)Du mariageCe premier gageEst un hommageDe notre amour:Peuple fidèle,Ton Dieu t'appelle,L'ange rebelleFuit sans retour.La douce auroreQui vient d'éclorePromet encoreUn plus beau jour.Douce espérance!Cette allianceDe l'innocenteAvec le cielRend à la terreSon roi, son père;Gloire et prièreA l'Éternel!MOÏSECe jour finit votre esclavage;Du Nil qu'on se prépare à quitter le rivage.Bientôt sous d'autres cieuxNous reverrons les champs où dorment nos aïeux.(il sort; Éliézer, Marie et les Hébreux l'acompagnent).SCÈNE QUATRIÈMEAnaï.ANAÏPardonne au trouble de mon âme,Dieu clément qui veille sur moi!J'eteindrai ma coupable flamme...Ô ciel! est-ce lui que je vois?SCÈNE CINQUIÈMEAnaï Aménophis. Aménophis entre avecquelques gardes qui se rangent à l'écart.Anaï veut s'éloigner.AMÉNOPHIS Anaï, toi me fuir...ANAÏ J'obéis à ma mère.AMÉNOPHISAh! de tous mes bienfaits voilà donc le salaire!Le voilà cet amour que tu m'avais promis!ANAÏOui, je vous aime, Aménophis,Et près de vous j'eusse été trop heureuse;Mais du sort la loi rigoureuse,En nous séparant à jamais,Ne saurait m'imposer l'oubli de vos bienfaits.AMÉNOPHISCrois-tu que je consenteA briser tes liens?Esclave, tu m'appartiens.ANAÏJe flèchis sous la main puissanteQui m'enchaîne en ce lieu.Cette main, plus tendre et plus chère...AMÉNOPHISQue m'importe Moïse, et sa race, et ta mère!Ne suis-je pas le fils du maître de la terre?ANAÏ Ce maître a le sien... c'est mon Dieu.AMÉNOPHISPour la dernière fois, parle: veux-tu me suivre?ANAÏDu combat que l'amour me livreJe ne cache pas la rigueur;Pour vous Anaï ne peut vivre...Je dois vous fuir. Adieu, seigneur.AMÉNOPHISJe voulais, Anaï, te devoir à toi-même;Tu braves le pouvoir suprêmeDont je dirige ici les coups:J'ordonne maintenant...ANAÏ Ô ciel! qu'exigez-vous?DuoAMÉNOPHISAh! si je perds l'objet que j'aime,Mon espoir, mon bien suprême!Si tu pars, ô trouble extrême!Tu dois craindre ma fureur.ANAÏHélas! vous voyez ma peine...Un devoir sacré m'enchaîne,Loin de vous c'est Dieu qui m'entraîne;Il condamne mon ardeur.EnsembleAMÉNOPHISPrès de moi, sois sans alarmes,Anaï, sèche tes larmes;Songe que, loin de tes charmes,Je murrais de douleur.ANAÏÔ tourment! ô jour d'alarmes!Rien ne peut tarir mes larmes.Dieu, prête-moi des armesContre mon propre coeur.AMÉNOPHISLoin de moi son Dieu l'entraîne.Sort cruel! funeste jour!ANAÏUn devoir sacré m'enchaîne,Dieu s'oppose à notre amour.(On entend dans le lointain le chant des Hébreux).Ah! le signal se fait entendre,Près de mes soeurs je dois me rendre.(Elle va pour sortir, Aménophis la retient).AMÉNOPHISQui pourrait ici prétendreMe ravir l'objet de ma foi?ANAÏ Grâce, grâce...AMÉNOPHIS Vaine espérance...ANAÏ Dieu l'ordonne...AMÉNOPHISAffreuse loi!Viens, Anaï... je veille à ta défense,De ton Dieu bravons la puissance...ANAÏ Ah! malheur à qui l'offense!AMÉNOPHISJe méprise sa fureur:Mon bras saura te soustraireAu joug d'un maître sévère;Viens, réponds à mon ardeur.ANAÏAh! du Dieu que je révèreN'irritez pas la colère;Roi du ciel et de la terre,Son pouvoir est immortel.AMÉNOPHISC'est à moi de te soustraireAu pouvoir d'un Dieu cruel.ANAÏ Je dois vous fuir...AMÉNOPHIS Arrête...ANAÏ Ô ciel!AMÉNOPHISC'est à moi de te soustraireAu pouvoir d'un Dieu cruel.ANAÏCraignez son pouvoir immortel.AMÉNOPHISQuand tu trahis l'amour, tu me rends à la haine;Non; je ne contrains plus la fureur qui m'entraine.Par les ordres du roiTous les Hébreux sont soumis à ma loi.(La laissant).Suis-moi!...ANAÏQue je quitte ma mère!Que j'abjure le Dieu sous qui tremble la terre!...Ah! ne l'espérez pas.AMÉNOPHIS Je le veux...ANAÏJe ne puis.(Elle s 'échappé de ses mains).AMÉNOPHISToi qui m'as tant aimé!...ANAÏJe vous aime et vous fuis.A vos coups je sais que je livreEn ce jour les Hébreux!Hélas! lorsqu'avec vous Anaï ne peut vivre,Son devoir lui prescrit de mourir avec eux.(Aménophis entre dans la tende de Moïse).Fatale destinée!Aux coups les plus cruels je suis donc condamnée!SCÈNE SIXIÈMEAnaï, Marie, Éliézer, Hébreux.FinalCHOEURJour de gloire, jour solennel!Offrons nos voeux à l'Éternel.ÉLIÉZERSa bonté paternelleNous comble de bienfaits;Sur ton peuple fidèle,Grand Dieu, veille à jamais.CHOEUR DES FEMMESGloire, gloire à jamaisA sa justice, à ses bienfaits!MARIECélébrons la puissanceDu Roi de l'univers.Il a comblé nos voeux, il fait tomber nos fers.ÉLIÉZERA sa puissanceGloire à jamais!MARIEA sa clémence,A ses bienfaits.ÉLIÉZERTout nous révèleSa gloire immortelle.CHOEUROffrons nos voeux au Roi du ciel,Gloire au Seigneur, Dieu d'Israël!Par sa puissanceEt sa clémence,Il nous protège, il nous défend:Hommage, hommage au Tout-Puissant.(Le choeur se retire au fond de la scène).ANAÏDieu, dans ce jour prospèreTermine nos malheurs...Et moi seule, douleur amère!Je verse encor des pleurs.Dieu clèment, si ma flammeMérite ta rigueur,Étouffe dans mon âmeUne coupable ardeur.MARIE(s'approchant de sa fille)Ma fille... quel présage!ANAÏ Je succombe à ma douleur.MARIE Quoi! ce jour de bonheur...ANAÏ Épuise mon courage.MARIE Ma fille...ANAÏAh! plaignez mon malheur.EnsembleMARIEÉteins l'ardeur profaneQue notre Dieu condamne.ANAÏDu ciel qui me condamneJ'implore la faveur.MARIEDu ciel qui te condamneImplore la faveur.SCÈNE SEPTIÈMELes mêmes, Moïse, Aménophis, sortant de la tente.MOÏSE(à Aménophis)Qu'entends-je...AMÉNOPHIS Tel est leur sort.MOÏSE Pharaon trahit sa promesse!ÉLIÉZER(à Aménophis)Crains de Dieu la main vengeresse.AMÉNOPHIS(à Éliézer)Toi, perfide, crains la mort.Tu bravais notre puissance;Pour les Hébreux plus d'espérance,Plus de délivrance,Subissez votre sort.ÉLIÉZER Dieu! quelle audace!AMÉNOPHIS(appelant)A moi!(Aufide et les gardes d’Aménophis sortent du bois).MOÏSE(s adressant au ciel)J'espère en ta vengeance.AMÉNOPHIS(avec ironie)Compte sur son assistance.MOÏSE et ÉLIÉZER Tremblez!...CHOEUR DES HÉBREUXDieu vous punira.ANAÏ(à Aménophis)Écoutez ma prière!MOÏSEBientôt la foudre meurtrièreSur l'Égypte éclatera.ÉLIÉZER(aux Égyptiens)Tremblez...AMÉNOPHISIl nous menace!(à ses gardes)Punissez tant d'audace.ANAÏ(à Aménophis)Qu'allez-vous faire, hélas!AMÉNOPHIS(à ses gardes)Saisissez ce perfide.MARIE(aux Hébreux)Vous, servez-lui d'ègide.CHOEUR(entourant Moïse)De lui n'approchez pas.SCÈNE HUITIÈMELes mêmes, Pharaon, Sinaide, Aufide, suite du roi.PHARAONQue faites-vous, soldats!EnsemblePHARAON, AMÉNOPHIS et AUFIDEQuel délire! quelle offense!On méprise ta/ma puissance!Le désir de la vengeanceTrouble, enflamme mon coeur!MOÏSE, ÉLIÉZER et HÉBREUXQuel délire! quelle offense!Dieu l'on brave ta puissance!Défenseur de l'innocence,Mets un terme à leur fureur,Que bientôt de ta vengeanceIls éprouvent la rigueur.SINAÏDE et ANAÏQuel délire! quelle offense!Veille, ô ciel, sur l'innocence!Ah! désarme leur vengeance.AMÉNOPHIS(à Pharaon)Ah! mon père!MOÏSE(au même)Seigneur!AMÉNOPHIS(à Pharaon)Vengeance!Qu'ils éprouvent ta rigueur!MOÏSEQu'oses-tu dire?Pharaon trahirait sa foi!PHARAON(à Moïse)Tout cède à mon empire,Je révoque ma loi.MOÏSE Tu révoques ta loi!PHARAONObéis en silence,Ou ma vengeance...SINAÏDE(à Pharaon)Grace pour lui, seigneur!AMÉNOPHIS(à ses gardes)Qu'on entraîne l'imposteur!ANAÏ(à Aménophis)Calmez votre fureur.PHARAON(à Moïse)Implore ma clémence,Ou crains ma fureur.MOÏSE(à Pharaon)Du Dieu que je révèreDésarme la colère;Abjure ton erreur.PHARAON(à Moïse)Rentre dans la poussière,...
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